Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne.

«Si vous avez vu le jour dans les années 1970, il y a de fortes chances que votre mère ait été attachée à son lit d’hôpital et qu’elle ait subi une épisiotomie à votre naissance. Si vous êtes un enfant des années 1950, elle a probablement été endormie et vous a cherché à votre réveil, inquiète, tandis qu’une infirmière vous examinait dans une autre pièce.»

Voici ce qui est écrit à l’endo du livre[1]d’Andrée Rivard, docteure en histoire. Elle y recense toutes les étapes importantes de l’obstétrique au Québec. Nous comprenons mieux l’évolution du rapport au corps féminin, aux sens, à la technologie et à la place de la médecine dans notre société. Voici quelques notes prises au gré de ma lecture. Ceci n’est pas un résumé ou une analyse mais simplement un partage qui vous amènera, je l’espère, à une réflexion sur la situation actuelle et sur vos choix pour vos accouchements.  Les professionnels travaillant en obstétrique gagneraient à lire cette recherche afin de se questionner sur certaines de leurs croyances autour de l’accouchement et du corps des femmes.

De nos jours, maternité et médicalisation de la naissance vont de pair. Il est devenu normal de croire qu’une femme ne peut pas mettre au monde son bébé par elle-même, sans aide extérieure. Comme si le corps féminin était connu et accepté défaillant dans le processus de la mise au monde.

Je confirme que, lorsque je rencontre des couples et que je leur demande s’ils pensent qu’une femme peut faire naître son bébé sans aide extérieure … beaucoup sont sceptiques ! La médicalisation n’a pas été vue, pour une grande majorité, comme problématique pour les femmes, mais comme un droit à avoir un accouchement sans douleur et la certitude que les risques sont diminués.

L’auteure décrit très bien l’évolution du rapport au corps au fil du temps et comment la rationalisation a pris le pouvoir sur les sensations et le vécu. Le corps féminin a été voué dès le XVIIIe siècle à la reproduction. «Physiquement plus faible,…, moins apte à la réflexion, plus sensible, tout son être témoigne de la prédestination de la femme à la maternité et aux soins des autres.»[2].

La notion de gérer la santé des femmes s’installe progressivement. Au début du XXe siècle, les taux de mortalité infantile restent élevés : peu d’allaitement, aucun règlement concernant la vente de lait non pasteurisé, développement lent en matière de santé publique. Peu à peu, un changement se profile : les familles ont moins d’enfants mais la qualitéde ceux-ci est importante. C’est ainsi que la médicalisation de la maternité et de la reproduction se développe de plus en plus.  A. Rivard explique que ce phénomène a été questionné assez tôt quant au risque de perte de sens de la maternité et du corps féminin : devient-il seulement le réceptacle du bébé et quel est l’impact sur le lien mère-enfant ?

Au cours du XXe siècle, l’obstétrique se développe comme une voie incontournable. En fait, la médicalisation touche presque tous les aspects de la vie et des spécialités médicales se développent. La prise en charge de la naissance s’inscrit dans ce vaste mouvement. L’obstétrique se développe sur la technologie et est résolue à incarner la modernité : la nature est domptée et on assure à la population que les risques de déséquilibres et les ratées de la nature seront contrôlés voire évités.

À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, l’accouchement à domicile est marginalisé.

Et puis, on va s’attaquer à la douleur qu’il faut abolir. Pourtant, dès le début du XXe siècle, plusieurs parlent de l’importance de la relation de confiance, voire d’affection entre la femme enceinte et le praticien[3]et son impact sur la douleur : c’est l’analgésie psychologique. Mais les conditions en milieu hospitalier sont peu propices à l’intimité et à l’accompagnement affectif puisque la femme est entourée d’inconnus. La présence du conjoint sera acceptée à partir des années 1970 seulement.

C’est en 1960 que les premiers sédatifs et barbituriques sont utilisés pendant le travail de l’accouchement dont le démérol et la scopolamine (laquelle entraine un relâchement musculaire). Ils présentent malheureusement des effets secondaires : somnolence, nausées, vomissements, hallucinations.

Jusqu’aux années 1970, les femmes sont anesthésiées lors de l’expulsion : chloroforme, éther, protoxyde d’azote. Elles se réveillent dans leur chambre, sans souvenir de la mise au monde, souvent nauséeuses, somnolentes ce qui rend la mise au sein difficile.

Puis la rachianesthésie et l’épidurale remplacent l’anesthésie générale et permettent à la femme de rester éveillée. Mais certains effets secondaires tels les nausées et vomissements perdurent et elles présentent certains risques liés à l’injection, aux interventions qui en découlent et aux effets à plus long terme insoupçonnés.

À plusieurs reprises dans l’analyse de l’auteure, on comprend que l’obstétrique est de plus en plus convaincue «de la nécessité de diriger un accouchement vu son imprévisibilité et ses imperfections»[4]. C’est ainsi que l’accouchement à l’hôpital est sous contrôle et présenté comme étant sans risques.

C’est dans les années 1950 et 1960 que nait un mouvement des québécoises en matière d’enfantement : un certain nombre d’entre elles veulent avoir accès à l’accouchement conscientqui se développe en Europe. La méthode sans craintedu Dr Read propose une préparation basée sur l’information (anatomie, physiologie), la relaxation et la psychothérapie.  L’accouchement sans douleurdu Dr Lamaze va avoir un immense succès dès le début des années 1950. Il propose des séances de préparation informatives pour la femme mais aussi pour le père. Ils pratiquent des exercices respiratoires, de détente et posturaux. Mettre la femme en confiance, être à l’écoute, offrir une continuité de soins est important.

Par la suite, de nombreuses méthodes d’accouchement conscientounaturelvont se développer un peu partout. Des femmes cherchent des méthodes pour éviter d’être endormies ou de recevoir des médicaments. Peu de médecins soutiennent ces projets : la plupart croient en l’importance des interventions proposées pendant les accouchements et rient de celles qui désirent autre chose.[5]

Une des plus connue sera la méthode psychoprophylactique d’accouchement sans douleurdéveloppée à Québec entre 1957 et 1968 par deux infirmières formées en Europe. Elles proposaient une préparation visant à diminuer les interventions mais n’étaient pas contre. Elles utilisaient elles-mêmes certains médicaments. Mais lorsqu’elles arrivaient à l’hôpital avec le couple pour la naissance, elles n’étaient pas toujours bien accueillies comme accompagnantes.

«Durant les années 1970 et 1980, deux vagues de fond s’affrontent, celle de la vision portée par l’état, exprimée dans la première politique québécoise de périnatalité et celle soutenue par des mouvements collectifs et individuels de contestation à l’égard d’une naissance de plus en plus industrialisée et de moins en moins humaine»[6]. C’est à cette époque que la gestion active du travailest mise de l’avant par le milieu médical. Des petites maternités ont fermé. On a regroupé les femmes dans de grandes unités d’obstétrique qu’il faut gérer efficacement.

En 1971, 55% des québécoises reçoivent encore une anesthésie générale. Et presque 90% en Gaspésie et dans le bas St Laurent. Étant donné les risques encourus avec ces pratiques, les autorités veulent développer les anesthésies locales et régionales. Pourtant, il est reconnu que «85% de l’ensemble des grossesses ne présentent qu’un risque minime de complications». [7]

On parle déjà, à l’époque, de l’humanisation des naissances. Certaines femmes critiquent les cours prénataux offerts à l’époque par les CLSC : l’une le décrit comme un «conditionnement en vue de faire admettre à la future mère qu’elle n’y connaît rien et que seul son médecin sait ce qui est bon pour elle»[8]. Plusieurs chercheures de milieux différents s’intéressent à la situation qui se développe autour de la naissance dans les années 1980 et qui rend les femmes de plus en plus dépendantes du savoir médical : la culture du risque et la légitimation des interventions.

La contestation due à l’insatisfaction monte dans la population. Le Dr Leboyer, qui promeut une naissance sans violencedès 1974 et le Dr Odent qui écrit le livre Bien Naîtreen 1976 vont créer des remous dans la société des années 1980. Michel Odent, encore actif à ce jour est un auteur prolifique et il a grandement alimenté le mouvement sage-femme au Québec. De plus en plus de couples veulent choisir leur type d’accouchement et une minorité choisit même l’accouchement à la maison dès les années 1970. Selon Céline Lemay qui s’est penchée sur la question d’un point de vue anthropologique, «accoucher à la maison signifiait accéder au sens profond de la naissance qu’occulte et ne permet pas sa médicalisation[9]».

Des femmes ont alors commencé à aider celles qui accouchaient chez elles. Au cours des années 1980, elles n’étaient pas plus de 20, parfois infirmières, formées auprès de sages femmes étrangères ou entre elles, parfois aidées de médecins.  Le mouvement sage-femme en en progression. De plus en plus de critiques du milieu obstétrical sont formulées ouvertement, témoignages de la déshumanisation de la naissance et de l’aliénation des femmes.

Des comités et des groupes d’humanisation se forment et le groupe communautaire Naissance-Renaissance est crée en 1981, regroupant de nombreux organismes militants.

Les colloques Accoucher ou se faire accoucher, qui ont lieu entre 1980 et 1981 pour créer un débat sur la situation de la périnatalité ont attiré près de 10 000 personnes, ce qui témoigne d’une réel questionnement des femmes. Plusieurs recommandations sont émises à la suite. En réponse aux critiques, la corporation des médecins émet une brochure Mieux accoucher, mieux naître et un sondage donne 98,6% des accouchées satisfaites de leur expérience.

Malgré les oppositions, la loi sur la pratique des sages-femmes est adoptée en juin 1990. Huit projets pilotes de maisons de naissance sont proposés. La SOGC dénigre les sages-femmes et les voudraient sous sa tutelle. Finalement, elles sont légalisées en 1999 avec la création du programme universitaire à Trois-Rivières. Les accouchements à domicile seront autorisés 5 ans plus tard.

Une évaluation de la pratique sage-femme en a surpris plus d’un en 1997[10]. Elle démontre une grande satisfaction des couples au niveau de l’humanisation et les performances des sages-femmes sont indéniables : moins de procédures médicales (déclenchements, rupture des membranes, ocytociques, épisiotomie, monitoring…) et réduction des hospitalisations, des déchirures et des bébés de petits poids. Mais l’accès aux sages-femmes est encore limité puisque seulement 3% des femmes accouchent avec une sage-femme à ce jour.

Ce livre est très précieux pour nous faire comprendre notre situation actuelle autour de la naissance et ce que vivent les femmes dans la maternité. Je constate dans ma pratique auprès des jeunes femmes et hommes qui deviennent parents que, malheureusement, la situation n’a guère changée et le discours axé sur le risque et la culpabilisation des femmes est encore très actuel en obstétrique. Les couples ont rarement une information variée en ce qui concerne l’accouchement. Les chiffres démontrent que 70% des femmes accouchent avec une épidurale et la plupart ne peuvent pas encore choisir leurs positions d’accouchement. Elles subissent encore de très nombreux touchers vaginaux non consentis et des interventions systématiques trop souvent non nécessaires.

Isabelle Challut – aout 2015

[1]Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne, Andrée Rivard, éditions du remue-ménage 2014

[2]P.52

[3]p.99

[4]p.104

[5]p.151

[6]p.213

[7]p.244

[8]p.227

[9]p.251

[10]p.278