Les temps changent

Crédit photo Mesdouxcroquis

Je vois fleurir les formations en accompagnement sur le web. En quelques années, l’offre s’est multipliée, en ligne, en vidéos enregistrées et en présentiel.

Ce qui change, c’est que certaines sont créées et animées par des accompagnantes (ou pas) jeunes, peu expérimentées, riches de quelques formations et surtout très à l’aise sur les réseaux sociaux. 

Et ça me questionne… comment peut-on devenir formatrice avant d’avoir eu une réelle pratique de plusieurs années sur le terrain ? 

Choisir de devenir accompagnante est très différent que de choisir de devenir un professionnel en périnatalité. Or, les formations en accompagnement sont courtes et très variées.

Lorsque j’ai débuté mes formations il y a 14 ans maintenant, j’avais de nombreuses années de pratique et de formations auprès de mes ainé.e.s à moi, ceux et celles qui avaient labouré le terrain de l’accompagnement.

Je ne pouvais pas répondre à toutes les demandes. Les couples et les professionnels reconnaissaient de plus en plus l’impact de cette présence en marge du système, avec une place bien précise, complémentaire, différente, libre. Plus j’observais les femmes accoucher et plus la posture de l’accompagnante se précisait. Les femmes m’ont enseigné.

L’accompagnante, qui est-elle?

Elle est là et soutient par sa présence l’intangible, ce qui peut transformer l’expérience des couples.

Comment transmettre cette posture qui peut sembler inconfortable entre le monde des parents et le monde médical? 

Elle est celle qui ne sait pas grand-chose par rapport aux spécialistes de l’obstétrique et c’est un cadeau, car ainsi, elle est là en toute simplicité et humilité. Elle n’a rien inventé, elle ne possède aucun copyright sur les savoirs millénaires.

Elle est une femme qui a surtout besoin de réapprendre à savoir être là, en présence et être capable de supporter sa propre impuissance.Rester là quoi qu’il se passe. 

Comme une femme accompagne son enfant à naitre, quelle que soit la situation qu’elle traverse, pas toujours idéale.

Et les participantes ont été attirées car plus les formations avançaient, et plus elles observaient que des connaissances oubliées se réveillaient en elle. Tout simplement.

J’étais témoin de ce cadeau : voir les connaissances se révéler au grand jour. Trouver les mots pour que ça se passe. Quand la connaissance émerge de l’intérieur, tout est différent. Elles savent qu’elles peuvent être auprès des autres femmes. 

J’ai continué d’appeler ces sessions des «formations» parce-qu’il fallait donner un titre mais j’ai bien vu que ce qui se passait était plus de l’ordre de la transmission.

Pour qu’une doula trouve sa posture humble et discrète auprès du couple, elle doit être accompagnée dans cet espace lors de la transmission des savoirs et de ses premiers pas : elle doit sentir que l’expérience des formatrices est un ancrage . 

Sentir que les transmetteuses  initient les plus jeunes en toute sécurité.

Or, on dirait que le temps de l’apprentis-sage perd de sa valeur. Ce temps où l’on se nourrit auprès de ceux et celles qui ont l’expérience, où l’on travaille ensemble avec l’humilité de ne pas savoir … encore. Et que cela prend du temps et que c’est parfait.

L’apprentissage prend du temps. 

Il faut laisser infuser les connaissances afin de les faire siennes. Et cela se fait à notre insu. Nul ne sait quand l’alchimie opère. 

Le savoir théorique, lui, s’acquière relativement facilement et est accessible à tous. 

Il est le socle sur lequel vont se déposer d’autres couches, beaucoup plus fines et subtiles. Des couches de transformations intérieures, de prises de conscience, d’erreurs, de bons et moins bons coups, d’humilité et de sagesse. 

Et ces couches se déposent avec le temps.  

On ne devient pas enseignante en accompagnement de la naissance sans avoir été un témoin discret de naissances. 

Des expériences parfois magiques et parfois difficiles…parce-que la vie est tout cela et qu’accompagner les moments difficiles nourrit notre être. La seule recherche de la magie et de la facilité est un leurre à déconstruire, ça n’est pas la vie.

Être accompagnante.

Être de garde pendant des mois, au bout du téléphone, disponible.

Être en salle de naissance, fatiguée, au bout de ses réserves. Appeler sa relève et lui raconter les enjeux de cette naissance pour qu’elle puisse prendre la juste place qui permettra à cette femme et son /sa partenaire d’aller au bout de leur expérience, bien soutenu.es. 

Au fil des années j’ai vécu des centaines de nuits blanches, des confrontations intérieures, des souvenirs difficiles, des émotions qui déferlent… des envies que ce soit différent, de la colère, des joies et de la gratitude infinie…et j’en ai parlé, j’ai réfléchi avec mes consoeurs doulas, des sages-femmes, infirmières, médecins afin d’intégrer ces expériences au plus profond de moi, de trouver la justesse et d’en laisser émerger la quintessence.

Alors que devient cette transmission sans ces couches qui se déposent sur le socle? Sans ces partages infinis des anciennes aux cheveux blancs (ou pas) qui calment, qui ont plusieurs traversées à leur actif? 

Que devient l’essence de l’accompagnement si cette transmission se perd, si on la limite à des cours sans pulpe? 

On reproduit simplement ce qu’on a tant critiqué.