création artistique Marie-Eve B.Lésvesque

Je vous raconte ici les débuts de Pleine Lune . D’autres textes suivront tout au long de cette année afin d’honorer les personnes qui ont participé à l’évolution de Pleine Lune, aux parents rencontrés, aux doulas qui ont croisé notre route et à celles qui assurent la relève.

En octobre 2005, je co-fondais avec 3 autres femmes Le Centre Pleine Lune à Ste Agathe des Monts. C’est lors d’une rencontre autour d’un café qu’émerge l’idée un peu folle de créer un lieu différent pour les familles…  L’absence de subvention me semble risquée … mais l’élan qui nous habite est plus fort : une espèce de certitude que ce lieu doit exister.

Je suis infirmière en obstétrique depuis 5 ans et je lis tout ce qui existe autour de l’accouchement respecté depuis mon propre accouchement sans assistance médicale en 1996. Cette expérience m’a complètement bouleversée car elle ne correspondait en rien à ce qu’on m’avait enseigné!  

J’avais besoin de comprendre ce schisme et pourquoi la médicalisation avait pris tant de place au détriment de l’expérience des femmes. 

Je choisis alors de travailler en salle de naissance pour explorer ce qu’il est possible de faire en milieu hospitalier afin de respecter l’autonomie et la liberté des femmes. 

 L’accès aux maisons de naissance est encore limité à cette époque et je constate un énorme écart entre l’expérience des usagères des maisons de naissance et les autres, peu informées, peu préparées, maintenues dans la peur de la douleur et l’acceptation des interventions.

Dès 2006, les CLSC de la région nous proposent de nous référer les inscriptions pour animer les cours prénataux à Pleine Lune.  Et les années suivantes vont être extrêmement riches puisque je vais rencontrer des centaines de couples en créant, avec mes partenaires, une sage-femme pionnière, Lucie Hamelin et une consultante en lactation, un contenu de préparation à la naissance unique, axé sur la compréhension de la physiologie de la mise au monde et de l’impact du vécu de l’accouchement sur l’allaitement et le post partum, ce qui n’existait pas pour cette clientèle.

Nous trouvons les mots pour démystifier la douleur, comprendre la physiologie, les enjeux personnels reliés à la parentalité afin de rendre les parents autonomes, confiants et conscients de leurs choix. 

Nous transmettons d’une façon simple les connaissances de base et je constate qu’ils sont intéressés et engagés car ils découvrent un nouveau regard sur cet évènement qu’est l’accouchement.

Ils comprennent de mieux en mieux l’intérêt de diminuer une médicalisation non nécessaire pour la santé des femmes et des bébés. 

Et le résultat est fantastique, des milliers de personnes vont s’inscrire à ce cours au fil des années. Parallèlement, ’équipe médicale me confirme que le pari est gagné car ils reconnaissent les couples qui suivent cette préparation lorsque ceux-ci arrivent en obstétrique : ils sont autonomes mais pas sur la défensive. Et l’équipe médicale est étonnée du taux de satisfaction du contenu de ce cours qui est de quasi 100%! 

Pleine Lune, à cette époque, est un lieu de rencontre pour les parents avec plusieurs services offerts : une boutique, des ateliers en pré et post partum (massage de bébé, soutien en allaitement, remise en forme pour les mères…). Mais les gains financiers sont faibles… La passion a un coût! 

C’est dans un atelier qu’un premier couple va me demander de l’accompagner : ils ne se sentent pas en sécurité d’accoucher «seuls» en milieu hospitalier. 

C’est ainsi que l’aventure de l’accompagnement débute. Je suis réticente au début car être de garde en plus de mon travail me semble beaucoup trop lourd. Et pourtant je vais accompagner des dizaines de couples jusqu’en 2018…tout en diminuant progressivement mes heures comme infirmière afin de me consacrer complètement à Pleine Lune.

Pleine Lune s’ancre progressivement dans la communauté et le milieu de la naissance. Nous écrivons de nombreux articles dans les journaux locaux, nous organisons des évènements et conférences afin de mettre en avant une réflexion citoyenne sur le passage de la naissance et ses enjeux.

En 2010, nous créons un grand évènement dans les laurentides avec la projection dans un théâtre du film The business of being born suivi d’une table ronde réunissant des professionnels, doulas et parents devant plus de 150 personnes. Ce sont des parents accompagnés qui ont sous-titré le film en exclusivité (des centaines d’heures de travail bénévole pour soutenir la cause…et Pleine Lune).

En 2011, j’organise la venue de Michel Odent à Montréal pour un séminaire et une conférence qui vont accueillir plusieurs centaines de participants.

Je crée la première Tente Rouge dans les Laurentides afin d’accueillir des mères désirant partager leurs vécus d’accouchements difficiles et ressentir une sororité perdue. 

Je suis invitée dans différents festivals, colloques autour de la naissance et du féminin. 

Mais il va y avoir aussi des tempêtes. 

Cet engagement très fort pour une naissance respectée crée des vagues car les parents questionnent plus, exigent plus et je me retrouve dans la ligne de mire de certain.es professionnel.les. 

Une femme accouche sans assistance médicale et on vérifie que je ne suis pas impliquée, des parents questionnent des interventions et le médecin me pointe du doigt…

La magie côtoie des moments plus sombres.

Mais je continue.

Un jour, une faille se révèle:  je suis formée en herboristerie…suis-je une dangereuse sorcière?  Subitement, après avoir encensé mon travail, une des équipes périnatales me retire le contrat des cours prénataux sans aucune vérification et une menace de plainte à l’OIIQ est lancée. La plainte sera déposée sans suite car ma pratique est irréprochable mais la perte de contrat est réelle.

Dans la foulée, nous devons fermer notre local car le manque d’argent se fait sentir et mes 3 partenaires vont progressivement quitter le navire.

Comment continuer seule avec Pleine Lune? 

Nous avions débuté notre première transmission à un groupe de femmes des Laurentides qui désiraient devenir doulas en 2009. Et comme de plus en plus de parents désirent être accompagnés, je choisis de développer ma formation doula, globale, profonde, riche de toutes mes années d’expérience et adaptée aux réels besoins des parents en milieu hospitalier.  Les connaissances de base sont solides et j’inclus, ce qui est nouveau, le travail corporel que j’explore déjà avec les parents depuis des années ainsi que la notion de qualité de présence. 

Je vais alors définitivement quitter mon travail d’infirmière afin de me consacrer à l’accompagnement des parents et à l’enseignement. 

Et quelques années plus tard, le milieu médical qui m’avait pointé du doigt  me demande de créer une formation sur la physiologie de la naissance pour les infirmières et les médecins des unités d’obstétrique et des communautés autochtones.

Cette plainte qui m’avait anéantie m’a finalement propulsée à développer ma pratique en accompagnement. 

L’écriture de plusieurs livres seule et en collaboration va suivre, des émissions à la télévision locale et toujours plus d’engagement dans la réflexion sur la place des doulas au Québec puis en Europe. 

Pleine lune est né d’un engagement profond, d’une conviction sans faille d’accompagner les parents dans ce passage de l’arrivée d’un bébé. 

Amélie et Marie Eve, doulas engagées et impliquées dans leur communauté, travaillent depuis plusieurs années à mes côtés. Elles apportent leurs connaissances, leur couleur, leurs réflexions qui nourrissent la continuité et l’évolution de Pleine Lune. 

20 ans ont passé et je suis consciente des changements dans notre société et dans le monde de la naissance. Mais les besoins de base des parents et des bébés restent inchangés: ils ont besoin de temps, de soutien, de bienveillance, de confiance pour vivre le passage et se rencontrer. Toute intervention non nécessaire au coeur de cette triade laisse des marques. Et le train de la médicalisation des naissances ne se ralentit pas vraiment. Ce qui m’a amenée à accompagner il y a 20 ans reste un enjeu de société. Est-ce que des personnes sont encore prêtes à offrir un accompagnement concret, en présentiel, ancré et non médical  aux parents qui accueillent leur bébé en milieu hospitalier? Est-ce que la disponibilité que cela exige est encore possible? La réponse est entre les mains des générations futures. 

COLLABORATION: Nous sommes à la recherche de témoignages de parents accompagnés par l’une d’entre nous et/ou des parents ayant bénéficié de nos services (cours, ateliers…) . Voici un lien avec la possibilité de partager des mots et/ou des photos de vos bébés/enfants ou adolescents . Merci !!!