La naissance et la mort sont certainement les moments les plus intenses que nous traversons tous au cours de notre vie.
Ces passages nous relient directement à un autre espace intangible, mystérieux, incontrôlable.
Lorsqu’un enfant naît, quel que soit le lieu, même médicalisé, il est un temps suspendu avant sa première inspiration, avant qu’il soit vraiment arrivé et investi du souffle, où toutes les personnes présentes retiennent leur respiration dans un silence troublant.
En cet instant, au-delà de toutes les connaissances médicales et de toutes les croyances, on attend silencieusement que le souffle se manifeste.
Certaines mères appellent leur enfant, vont les chercher dans cet espace qu’ils ne semblent pas avoir envie de quitter. Et quand le souffle s’incarne, les yeux du bébé s’ouvrent en général et il semble presqu’étonné de ce qui se passe en lui. Il existait avant que le souffle ne s’installe.
Ce mystère trouble encore les équipes hospitalières car il se passe quelque chose d’impalpable, de mystérieux, de fragile, de puissant et d’intemporel.
On touche à la finesse du passage : une simple inspiration.
À la fin de la vie, lorsqu’une personne exhale son dernier souffle, qu’elle rejoint cet autre espace abandonné quelques semaines ou années plus tôt, lors de sa naissance, ce même temps suspendu se manifeste…cette fois, on attend la dernière expiration qui clôture le voyage.
Ces temps suspendus lors de ces passages sont pleins de silence. Car à l’écoute du souffle, les mots deviennent superflus.
Cet instant, même bref, peut bouleverser la vie de celui /celle qui y assiste. Car, sur ce fil ténu du premier et du dernier souffle, nous touchons au mystère et à l’essence de la vie.
Ce silence et ce mystère sont connus de tous mais oubliés.
Les femmes, par exemple, portent cette mémoire ancienne, depuis qu’elles enfantent le monde dans leurs entrailles. Nous l’avons oublié.
Chaque femme qui enfante, chaque personne qui meurt est confrontée au silence. C’est dans cet espace qu’il/elle pourra vraiment choisir comment vivre ce passage.
Je me souviens de ma grand-mère avec qui j’étais dans ses derniers moments empreints d’une grande souffrance. Je la sentais révoltée, elle qui avait donné sa vie à la religion : «Dieu, pourquoi tant de souffrance, pourquoi me laisses tu ainsi ?» disait-elle. Je ressentais sa peur. Elle attendait de l’aide. Mais Dieu est resté silencieux. Elle était seule avec elle-même, à devoir accepter, à se laisser aller … ou pas. Elle était dans le silence.
Alors, au-delà des croyances que nous avons érigées en murailles, nous pouvons renouer avec un savoir ancestral transmis depuis la naissance de notre humanité et enfoui dans nos entrailles.
Cette faille vers ce savoir est accessible dans des moments de grande intensité, lorsque le brouhaha de la raison se tait.
Le cadeau des passages de la naissance et de la mort est la possibilité qu’ils nous offrent de se laisser capituler, de s’abandonner afin de continuer le voyage entamé.
I.Challut