Ma mère, ma doula, a été le rempart contre les trous du système.

Je me souviens comme si c’était hier de ma mère travaillant comme infirmière en obstétrique de jour, soir et nuit à l’hôpital. Rentrant à des heures déraisonnables et se faisant « pointer » pour rester des heures supplémentaires quand il n’y avait pas d’infirmière pour prendre la relève à la fin de son quart de travail.

Je me souviens aussi comme si c’était hier de ses trois amies rassemblées sur le balcon de la maison familiale à Val-David. C’était l’été, j’avais environ 15 ans. Elles voulaient créer un lieu spécialisé en périnatalité et discutaient des services qu’elles souhaiteraient offrir. Ce travail allait s’ajouter au sien qui l’épuisait déjà, mais elle y tenait. C’est là qu’elle a commencé à accompagner les femmes à leurs accouchements. C’était des heures encore plus déraisonnables, mais elle en revenait moins épuisée que de l’hôpital : elle avait le sentiment d’avoir véritablement aidé ces femmes et pu les supporter entièrement dans le processus. Pleine Lune a aussi développé des cours prénataux pour les parents qui ont été aussi populaires auprès des familles qu’auprès de l’équipe médicale que le CLSC a délégué tous ses cours prénataux à Pleine Lune. L’équipe médicale voyait que les femmes qui arrivaient à l’hôpital de Ste-Agathe étaient mieux préparées à leur accouchement quand elles suivaient ces cours. Je voyais ma mère reconnue pour son travail et ses capacités d’accompagnement – il faut le dire – exceptionnelles. Je n’ai jamais vu ma mère regretter de cesser de travailler à l’hôpital comme infirmière. Elle avait perdu sa sécurité financière, mais elle était plus épanouie. À moins qu’elle me cachait ses mauvais coups, j’estime le taux de satisfaction de sa clientèle à rien de moins que 100%. Elle revenait chaque soir à la maison avec des bonnes nouvelles, avec des histoires rocambolesques d’accompagnements dans toutes sortes de circonstances et de lieux. Les familles lui disaient toujours que ses cours ou que son accompagnement avaient été crucial et qu’elle devait continuer dans cette voie. C’est ce qu’elle a fait maintenant depuis 20 ans. Je suis extrêmement fière de ma mère qui, par son travail acharné, a su s’imposer comme une voix essentielle pour les femmes qui, paradoxalement, en ont très peu dans le milieu périnatal.

Dix-huit ans après la création de Pleine Lune, je suis tombée enceinte et j’ai expérimenté moi-même tout ce que ma mère me racontait toutes ces années. J’ai été exceptionnellement chanceuse de bénéficier de la personne que j’estime la plus qualifiée qui soit pour m’accompagner durant ma grossesse et la naissance de mon fils Charlie. Tout ce dont ma mère m’avait parlé a eu lieu, notamment cette culture de la peur et l’ingérence du milieu hospitalier (médical et sage-femme inclus) dans mes choix et dans mon corps, dès le début de la grossesse jusqu’à la naissance. 

L’aspect de l’accompagnement que j’ai le plus apprécié et dont j’avais le plus de besoin m’a surpris. Oui l’accompagnement par une personne douce et attentionnée qui respecte mes choix dans la bienveillance est bienvenue. C’est ce que je pensais qu’était une doula. Mais ce dont j’ai eu le plus besoin était de ma mère comme un rempart solide contre les ingérences et comme source d’information me permettant un réel choix éclairé dans une mare de désinformation. Plusieurs intervenants du milieu répètent que tous les choix sont bons et que je peux faire ce que je veux quand on me proposait des tests, des techniques, des médicaments, des interventions ou autres. Mon expérience est qu’il n’y a pas de choix réel quand on ne comprend pas pourquoi ces propositions ont lieu ou quand les effets secondaires indésirables des interventions ne sont pas communiqués ou minimisés. Ma mère savait où trouver l’information. Elle m’a dit quoi lire, comment m’informer et m’a transmis beaucoup d’information. 

Même chose lors de l’accouchement. J’ai été transféré de mon suivi sage-femme à l’hôpital à 38 semaines pour être induite en raison d’une pré-éclampsie. Malgré toute ma préparation à l’accouchement en maison de naissance et les tentatives de créer un lien de confiance avec ma sage-femme pour ce grand jour, à 38 semaines, j’apprends que j’accoucherai seule à l’hôpital avec un gynécologue que je n’ai jamais rencontré dans un environnement où il n’y a aucun des outils de soulagement de la douleur dont on me parle depuis des mois (ballon, écharpe, banc de poussée). J’apprends aussi qu’aucune sage-femme ne sera là pour me proposer des techniques lors de l’accouchement avec les moyens du bord.

Si ce n’était de ma mère qui a pris le relais, j’aurais pris l’épidurale ou aurais eu une césarienne. À chaque contraction, elle disait à mon conjoint quoi faire pour me soulager. Et à chaque contraction, ça marchait. Et bébé Charlie est sorti.

Ma mère a été le rempart contre les trous du système. 

Elle m’avait dit que pendant l’accouchement, le personnel médical allait me sortir de ma bulle et que j’allais devoir tout faire pour la préserver. Pour mon prochain accouchement, je sais maintenant qu’une troisième personne sera nécessaire, notamment pour remplacer mon conjoint quand il n’aura plus la force de me laisser me suspendre à lui après de heures de travail, mais aussi pour garder la porte contre toute interruption et répéter à l’équipe médicale dont le personnel change sans cesse que j’ai déjà un plan de naissance et que non, pendant les contractions n’est certainement pas le moment de m’interrompre pour se présenter, me demander si j’ai déjà pensé à l’épidurale ou si je veux entendre parler des dernières techniques de respirations à la mode pour la douleur. C’est trop peu trop tard : je suis en travail actif.

Mon expérience doula, c’est le rempart qui m’a permis d’accoucher en milieu hospitalier. Sans elle, j’aurais été laissé à moi-même, sans ressources, dans cette salle où l’infirmière ne cessait de m’informer de l’heure à laquelle l’anesthésiste allait finir son quart de travail pour que je prenne l’épidurale avant. Cette infirmière, une infirmière d’obstétrique mère d’un enfant, nous a dit après mon accouchement qu’elle n’avait jamais rien vu de tel qu’elle ne comprenait pas comment j’avais pu accoucher. Elle n’aurait certainement été d’aucune aide.

En somme, ma mère a été la seule personne à me suivre véritablement tout au long du processus d’enfantement. Elle a été le rempart contre les trous du système mais aussi un « bouncer » formidable lors de l’accouchement avec une expérience et des connaissances indispensables pour gérer tous les imprévus inévitables d’un accouchement : quand tout fait mal, quand les techniques connues sont insuffisantes ou quand la mère a l’impression que bébé est coincé et que papa ne sait plus si sa femme va s’en sortir. Ma mère a aussi une poigne de fer quand vient le temps d’étirer pendant des heures une femme qui contracte aux minutes. Finalement, une doula, c’est un travail difficile et beaucoup plus multifacette qu’on pourrait le croire, mais c’est surtout essentiel dans notre système actuel.

Juliette.